Le voyage de compétition

Tout a commencé de manière somme toute assez stupide. Phileas Fogg, riche Anglais et ancien marin, est attablé, comme de coutume, à une table de whist au Reform-Club. Il a quarante ans, une figure noble et une vie réglée comme du papier à musique. Il prend ses repas à son club, y lit les journaux chaque jour après le déjeuner et joue au whist le soir. Il n’est guère bavard – c’est son caractère -, mais, ce soir-là, il parie 20 000 livres qu’il fera le tour du monde en quatre-vingt jours.

Quelques heures plus tard, il est déjà en route, accompagné de son domestique, le fidèle Passe-Partout, pour Douvres, puis Calais, d’où il emprunte le premier train pour Paris. Quatre-vingts jours plus tard, il est bien de retour. L’ennuyeux, c’est qu’il a fait le tour du monde et que, du monde précisément, il n’a rien vu. Mais il a ouvert la route. Une route qui mène nulle part à proprement parler, mais qui permet de gagner des paris, des coupes,  des médailles – celle du voyage en forme d’exploit.

Certes, Jules Verne n’a pas inventé l’exploit au sens sportif du terme. Depuis toujours, c’est le problème de l’homme que de courir plus vite que son voisin. En revanche, il est le premier à utiliser les techniques modernes pour voyager loin, sans rien cherché à voir. Il fallait y penser.

Depuis, le voyage-exploit a évolué. Il s’est surtout répandu. Traverser l’Atlantique à la voile en moins de huit jours; monter au sommet de l’Annapurna en moins de douze jours; faire Paris-Dakar en moins d’un mois; traverser la Manche en ULM en moins de trois heures; bref, courir le monde, par tous les moyens possibles et imaginables, en prenant appui chaque fois dur les toutes dernières innovations techniques, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

L’affaire n’est pas sans danger. Elle suppose de prendre sans cesse des risques, car ce n’est pas simple de trouver chaque fois une nouvelle invention permettant de se rendre du même point au même autre point, mais d’une manière un peu différente de celle de son prédécesseur, ou un peu plus rapidement. Beaucoup n’ont jamais vu la fin du voyage.

Laurent Bourgnon, disparu en mer le dans l’atoll de Toau en Polynésie française, est toujours, depuis le 5 juillet 1994, le détenteur du record de traversée de l’ Atlantique à la voile en solitaire. Sa victoire, il la devait à son désir de gagner bien sûr, à son talent de marin et aux progrès de l’architecture navale qui ont permis la construction de son trimaran, Primagaz. L’exploit est de taille, puisque Laurent Bourgnon, en effectuant le voyage en 7 jours, 2 heures, 34 minutes et 42 secondes, avait surpassé la championne en titre, Florence Arthaud, de plus de deux jours. La différence est colossale et, en même temps, dérisoire, puisqu’elle n’est là que pour être creusée, l’exploit pour être battu. Et cela même qui semble lui ôter tout son sens lui en confère un, tout au contraire.

Car ce voyage en appelle un autre, qui en appellera un autre encore, voyages contre le temps plutôt que contre l’espace, contre la mort autant que contre la montre.

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