Le naufrage de Wall Street ne coule pas les paquebots

Le 30 octobre 1929, la Bourse s’effondre à Wall Street; les jours suivants, on se jette aussi des ponts de l’Ile-de-France, comme de ceux des arrogants paquebots allemands, le Bremen et l’Europa, dont les lignes élégantes, la splendeur des matériaux et la puissance des moteurs semblent narguer tout d’un coup l’Amérique désespérée.

Et pourtant, les Européens, et singulièrement les Français, moins touchés que les Anglo-Saxons par la crise économique, mettent en chantier trois paquebots – somptueusement illustrés à l’affiche par Martin-Marie,  Cassandre ou encore Wuilguir -, le Queen Mary, le Queen Elizabeth et le Normandie, qui resteront ceux de la démesure.

NormandieTel est d’ailleurs l’effet recherché. À travers ces monstres des mers, tout autant que la nécessité de créer des emplois, c’est l’image du pays qui est en jeu. Et cette partie, la France va la gagner avec le Normandie, dont le nom est à lui seul une provocation envers le voisin britannique.

Le Normandie, porte-drapeau du luxe et de la technique française, s’élance sur la mer à l’automne 1931, sous les applaudissements de quelques 200 000 personnes. C’est le plus beau des bateaux, le plus racé, le plu confortable, doté du meilleur service et de la meilleure cuisine. « Vaisseau de lumière », il semble entièrement bâti de verre. Des perspectives grandioses luis donnent son élégance. L’une, signée Patout et Pacon, part du pont principal et court jusqu’à la salle à manger, plus longue que la galerie des Glaces du château de Versailles. Une autre, dessinée par Bouwens Van der  Boijen et Expert, traverse le théâtre, la galerie, le salon, le fumoir, le restaurant-grill, pour se jeter littéralement dans l’Océan. Le Normandie , certes, vibre un peu, mais on le lui pardonne, puisqu’il est le plus rapide, qu’il remporte le trophée des paquebots, le Ruban bleu, pour avoir relié Bishop Rock , Grande-Bretagne, à Ambrose Light, États-Unis, soit 2 907 miles en quatre jours, trois heures et douze minutes.

En février 1942, pourtant, après onze ans de service et cent trente-neuf traversées, il gît dans le port de New York, couché sur le côté. Les trombes d’eau déversées par les pompiers de la ville sur ses ponts supérieurs ont eu raison d’un incendie accidentel, mais aussi des 30 500 tonnes du paquebot …

Cent ans plus tard…. Le rêve n’est pas fini pour autant. Au lendemain de la guerre, l’Ile-de-France est encore en service, après avoir servie la patrie, dès 1940, en transportant pour les Forces navales françaises libres, plus de 300 000 militaires sur 500 000 miles marins. Il reçoit la Croix de guerre et la Légion d’honneur, et reprend la mer, à titre civil, en juin 1949, pour rejoindre New-York et descendre l’Hudson en vedette hollywoodienne, accompagné d’une escorte officielle. Mais c’est trop d’honneur, peut-être, et le signe qu’une histoire se termine pour laisser la place à celle du transport aérien.

Pourtant, ils sont encore 1 million, chaque année, à emprunter le Liberté, le Queen Elizabeth et le Queen Mary, ou encore l’America et le Washington ; et, parmi ceux-là, toujours les vedettes de la chansons et du cinéma, ainsi que les fortunes du monde entier. Suffiront-ils à équilibrer les comptes des compagnies, qui doivent maintenant renouveler un parc démodé ou se reconvertir dans le fret ?

La France, après trois années de débat, répond par l’affirmative, et le chantier de Penhoët se met au travail. il se met au travail et construit un paquebot aussi grand que le Normandie mais moins luxueux, agréable et fonctionnel. Le 8 février 1962, le France remonte à sont tour l’Hudson.

« Que ce navire aille vers sa destinée. Porter des hommes vers des hommes ! Qu’il aille vers l’Océan pour y voguer et y servir !

Muni de cette précieuse recommandation du général de Gaulle, chef de l’État, le bateau voguera treize ans, pour le plus grand plaisir de 700 000 passagers. Il sera racheté en 1977 par le milliardaire saoudien Akmar Ojjeh, avant d’être revendu à l’armateur norvégien Knut Kloster pour finir à une vente aux enchères en 2009.

1977…Un siècle plus tôt exactement, son aïeul, le Great Eastern, dont le mât de misaine dépassait en hauteur les tours de Notre-Dame, achevait sa carrière. L’Histoire a de ces coïncidences !

 

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